L’honorable Pablo Rodriguez, ministre du Patrimoine canadien, a honoré une importante promesse électorale en présentant un projet de loi visant à niveler les règles du jeu entre les éditeurs de presse du Canada et les plateformes numériques.
À titre de comparaison, après avoir atteint un sommet de plus de 4,6 milliards de dollars en 2008, les revenus des journaux canadiens sont chutés à moins de 1,5 milliard de dollars en 2020. Pendant cette même période, Google et Facebook ont vu leurs revenus canadiens combinés passer d’un peu plus d’un milliard de dollars à plus de 8 milliards. Aujourd’hui, Google et Facebook engrangent plus de 80 % des revenus publicitaires en ligne.
En vertu de cette législation, les entreprises qui réalisent des revenus en publiant des contenus créés par les éditeurs de presse canadiens devront partager une partie de leurs revenus avec les organes de presse canadiens.
Plusieurs façons d’atteindre cet objectif existent. Certains avaient proposé que le gouvernement taxe directement les géants du web pour ensuite redistribuer l’argent aux éditeurs. Cependant, selon cette approche, l’implication du gouvernement serait nécessaire dans la détermination de la façon dont l’argent serait distribué, et ce n’est pas quelque chose que les éditeurs, qui tiennent profondément à leur indépendance, souhaitent.
À juste titre, cette législation s’inspire de ce que les Australiens ont fait. Le gouvernement conservateur du Premier ministre Scott Morrison a introduit le News Media and Digital Platforms Mandatory Bargaining Code en février 2021, une législation élégante dans sa simplicité. Elle remédie aux déséquilibres de pouvoir de négociation entre les plateformes numériques et les entreprises de presse australiennes en permettant aux entreprises de presse de négocier individuellement ou collectivement avec les plateformes numériques le paiement de l’inclusion d’informations sur les plateformes et services. Si la négociation n’aboutit pas à une entente équitable, les parties passent à un arbitrage de l’offre finale de type baseball.
La réaction initiale des services et plateformes des grandes entreprises technologiques basés aux États-Unis n’a pas été un grand jour pour la citoyenneté d’entreprise ou les relations avec les clients. La réponse de Google fut la suivante : « Cela ne nous laisse pas d’autre choix que de cesser de rendre Recherche Google disponible en Australie. » Meta, quant à elle, a déclaré : « En Australie, les personnes et les organismes de presse ne peuvent plus publier de liens vers des sites d’actualité, ni partager ou consulter des contenus d’actualité australiens et internationaux sur Facebook. Au niveau mondial, la publication et le partage de liens d’actualités provenant d’éditeurs australiens sont également restreints. »
La législation ayant été adoptée, de nombreux éditeurs australiens, y compris les plus petits, se sont regroupés pour négocier des ententes significatives avec Google et Meta. Selon Robert Whitehead, responsable de l’initiative en matière de plateforme numérique à l’International News Media Association, « il ne fait aucun doute que les éditeurs de petite et moyenne taille ont été les gagnants surprises du code de négociation des médias australiens. Les trois grands acteurs commerciaux ont lancé la dynamique… mais ce sont les plus petits acteurs qui ont le plus gagné par rapport à leur taille. »
Rob Sims, ancien président de la Commission australienne de la concurrence et de la consommation (ACCC), a déclaré que le code avait connu un « succès stupéfiant » et a estimé que les accords avaient injecté « bien plus de 200 millions de dollars par an » dans l’industrie australienne de l’information. Et l’ACCC nous a précisé que le code avait « permis de créer un environnement d’embauche robuste pour les journalistes australiens. »
L’année dernière, voyant qu’ils étaient au pied du mur du Canada, Google et Meta ont contacté un certain nombre des plus grands éditeurs de presse du pays. Comme l’a noté William Turvill, de Press Gazette, basé au Royaume-Uni, « certaines données suggèrent que la menace de cette législation porte déjà ses fruits pour les éditeurs canadiens… Google, peut-être en prévision de la répression d’Ottawa, a déjà commencé à offrir des paiements plus généreux pour l’inscription à [Google] News Showcase. »
Ces ententes profitent clairement aux grands éditeurs, et c’est une bonne chose. Cependant, on pense que celles-ci sont relativement de court terme. Si le Parlement n’adopte pas une loi d’ici la fin juin, le renouvellement de ces ententes pourrait ne pas se faire à des conditions aussi favorables sur le plan commercial. Plus inquiétant encore, en l’absence d’ententes, les petits éditeurs communautaires et ethniques vont dépérir en raison de leur manque de revenus publicitaires. Les déserts d’informations qui en résulteront alimenteront la désinformation et les fausses nouvelles, qui sapent la cohésion sociale et notre démocratie.
Tous les partis politiques au Parlement comprennent la valeur des informations locales. Tous comprennent que l’industrie de la presse fait face à une menace existentielle. Tous comprennent qu’il existe un rapport de force entre les grandes entreprises technologiques et les éditeurs de presse du Canada. Tous croient que les éditeurs devraient être autorisés à négocier collectivement avec les plateformes et les services. Nous demandons à ces mêmes partis politiques de faire ce qui doit être fait en adoptant ce projet de loi essentiel à la Chambre des communes et au Sénat d’ici la fin de juin. Montrons au monde entier que le Canada se soucie d’un secteur de l’édition d’informations résolument indépendant et commercialement viable, où les informations communautaires locales prospèrent en parallèle à un web ouvert dynamique.
Jamie Irving est président de conseil et Paul Deegan est président et chef de la direction de Médias d’Info Canada.
Maria Saras-Voutsinas est directrice générale du Conseil national de la presse et des médias ethniques du Canada.