/HEBDO-PRESSE/— Il est assez rare que les principaux partis politiques du Canada s’entendent sur quoi que ce soit, surtout dans le feu d’une campagne électorale fédérale. Pourtant, tous s’accordent à dire que nous devons nous tourner vers un modèle australien pour assurer la viabilité commerciale à long terme de l’industrie canadienne des medias d’information. Pourquoi une industrie de presse robuste est-elle importante pour les Canadiens ? En termes simples, le journalisme est essentiel à notre démocratie.
Dans leur livre Truth Decay, publié en 2018, Jennifer Kavanagh et Michael D. Rich, de la RAND Corporation, affirment qu’il y a « un manque d’accord croissant sur les faits et les interprétations analytiques des faits et des données, une ligne de démarcation floue entre l’opinion et les faits, un volume relatif croissant—et l’influence qui en découle—de l’opinion et de l’expérience personnelle par rapport aux faits, et un déclin de la confiance dans les sources d’informations factuelles autrefois respectées. »
Élaborant sur ce thème, les deux auteurs notent que par le passé les journaux et les chaînes d’information étaient les médiateurs de l’information. En tant qu’institutions « gardiennes », les éditeurs et les diffuseurs étaient et restent responsables, car ils peuvent être poursuivis pour diffamation et sont soumis à certaines normes et réglementations. Ce n’est pas le cas des médias sociaux et des plateformes internet, qui ne sont pas contrôlés et ne sont pas tenus de rendre des comptes. Les auteurs affirment que « les filtres et les algorithmes intégrés aux plateformes de médias sociaux et aux moteurs de recherche, tels que Google, contribuent à dégrader la vérité—et en particulier à l’augmentation des désaccords et à l’effacement de la distinction entre opinion et fait—en insérant de la partialité dans les types d’informations auxquelles une personne est susceptible d’être exposée ou avec lesquelles elle interagit. »
Nous sommes tout à fait d’accord avec leur conclusion selon laquelle la dégradation de la vérité a des conséquences néfastes, notamment en ce qui concerne « l’érosion du discours civil, la paralysie politique, l’aliénation et le désengagement des individus vis-à-vis des institutions politiques et civiques, et l’incertitude politique ».
Ce qui nous amène à la question suivante : que pouvons-nous faire, en tant que Canadiens, à ce sujet ?
Une solution consiste à investir dans le journalisme d’investigation, qui agit comme un contrepoids redoutable aux grandes puissances, y compris les gouvernements et les entreprises. Le journalisme d’investigation sert l’intérêt public et conduit souvent à des réformes administratives, législatives et réglementaires et à de meilleurs comportements. Le journalisme d’investigation exige un investissement en temps, en talent et en argent. Aujourd’hui, puisque l’argent de la publicité est siphonné par les grandes entreprises technologiques, les fonds sont rares et les salles de presse sont à la fois très sollicitées et stressées. Le journalisme d’investigation ne peut s’épanouir que dans un écosystème médiatique sain.
Les Australiens ont compris cette dynamique. En 2019, l’Australian Competition & Consumer Commission a proposé un code obligatoire et un régime d’arbitrage pour uniformiser les règles du jeu entre les éditeurs de médias d’information du pays et Google et Facebook, ce à quoi les deux entreprises se sont opposées. Cette opposition farouche s’est poursuivie après que le gouvernement a présenté son projet de loi. En février 2021, dans un effort de dernière minute pour empêcher l’adoption de la législation, Google a annoncé son plan « News Showcase » en Australie. De son côté, Facebook a menacé de plier bagage et quitter l’Australie complètement. Cependant, aucune de ces deux tactiques n’a réussi. Le gouvernement est allé de l’avant et a promulgué le projet de loi, qui a reçu la sanction royale en mars 2021.
Ce dénouement a été un succès éclatant pour les médias d’information locaux en Australie. Pour éviter un arbitrage contraignant, les deux plateformes ont négocié des contrats avec les médias d’information qui prévoient une rémunération significative. Bien que les conditions réelles soient confidentielles et que certains contrats soient encore en cours de négociation, nous comprenons que les deux sociétés, ensemble, paient environ 30 % du coût pour chaque journaliste à temps plein. Il est clair que la menace de l’arbitrage des offres finales, comme au baseball, permet aux petits et grands éditeurs de presse australiens d’investir dans de vrais journalistes, qui produisent du vrai contenu.
C’est bien mieux que l’approche « diviser pour mieux régner » employée par les Big Tech qui, en plus de manquer de transparence, permet aux plateformes de jouer les uns contre les autres avec des offres de compensation inadéquates par rapport à ce qu’un arbitrage contraignant fournirait et laisse les petits titres sur le carreau.
Au nom des éditeurs de médias d’information du Canada d’un océan à l’autre, représentant plus de 1000 communautés et employant plus des deux tiers des journalistes canadiens, Médias d’info Canada est encouragé de voir que tous les principaux partis politiques du Canada soutiennent cette approche et reconnaissent l’urgence de la situation. Nous avons produit un projet de Loi sur les plateformes numériques, qui peut être présenté le premier jour de la prochaine session législative. Celui-ci répond au besoin d’une exemption de l’article 45 de la Loi sur la concurrence, qui empêche actuellement la négociation collective.
Les plateformes Google et Facebook ont des revenus annuels combinés au Canada de plus de 9 milliards de dollars. Ce n’est que par la menace d’un arbitrage qu’une rémunération significative sera fournie par ces plateformes à tous les médias d’information canadiens. Médias d’info Canada est prêt à supporter la négociation collective pour les titres, petits et grands.
Tous les principaux partis politiques canadiens sont d’accord : le modèle australien est une solution simple, équitable et éprouvée qui fonctionne en Australie. Ce modèle ne nécessite pas l’argent des contribuables, de nouvelles taxes ou des frais d’utilisation. Son recours de la négociation collective, soutenue par un arbitrage de type baseball, est la meilleure façon de redresser le déséquilibre de pouvoir actuel entre les géants du web et les médias d’information locaux du Canada. Il nous permettra de continuer à investir dans l’excellence du journalisme canadien aujourd’hui et à long terme et contribuera à combler le déficit de vérité qui infecte notre démocratie.
Jamie Irving est président du conseil d’administration et Paul Deegan est président et directeur général de Médias d’Info Canada.
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